samedi 20 novembre 2010

Appel aux entreprises : le harcèlement moral vous coute trop cher pour continuer ainsi

La présidente de notre association a été interviewée par Le Progrès de Lyon dans un dossier sur le harcèlement moral et elle a pu faire passer ses idées sur son approche économique. Elle a également lancé un appel aux entreprises avec qui notre association souhaite créer bénévolement un groupe de recherches pour finaliser un modèle de "charte de référence" dans les cas de harcèlement (voir notre appel aux DRH dans l'interview de la Présidente en fin d'article).

DRH : comment lutter contre le harcèlement
publié le 09.11.2010
http://www.leprogres.fr/fr/permalien/article/4112191/DRH-comment-lutter-contre-le-harcelement.html (l’article est illisible sur le site car écrit trop petit, je le reproduis donc ci-dessous).

Ressources humaines. Au printemps, syndicats et patronat ont signé un accord détaillant les mesures à instaurer pour prévenir le harcèlement. Elles ont été rendues obligatoires cet été par un arrêté du ministère du Travail. Les DRH doivent se mettre au boulot.

Depuis 2008, 58 salariés de France Télécom se sont donné la mort. Des journalistes ont enquêté. Et ils sont tombés sur Next.
Next ? C'était le nom du plan lancé par Didier Lombard en 2004, lors de son arrivée à la tête du groupe. Son objectif ? Inciter au départ 22 000 salariés.
Comment ? En les pressurisant, en les déplaçant, en les poussant à la faute… Des employés ont été formés à ces méthodes. Documents à l'appui : des courbes détaillant les phases psychologiques par lesquelles passeraient les salariés (révolte, tristesse, résignation) leur ont notamment été remis. Le plan Next, ou comment instituer le harcèlement moral comme modèle managérial… Depuis, la problématique est plus que médiatisée. Le harcèlement en entreprise est devenu un véritable phénomène de société. Quitte à tout mélanger.

Comprendre la situation
Me Mélanie Chabanol, avocate au barreau de Lyon, le concède : « Dès que les salariés vivent mal une situation, ils emploient le mot « harcèlement ». Mais la souffrance au travail n'est pas toujours synonyme de harcèlement, pas au sens de la loi en tout cas ». Mais alors, qu'est-ce que le harcèlement ? Si plusieurs définitions coexistent, il est déterminé par le caractère « répété » des agissements. « Un seul fait, aussi abominable soit-il, ne constitue pas du harcèlement », précise Me Chabanol, qui ajoute : « Il est sans doute intéressant de définir ce que n'est pas le harcèlement. Par exemple, il n'est pas le fait d'être appelé une fois de temps en temps chez soi le soir, il n'est pas le fait de recevoir une lettre pendant son arrêt maladie, il n'est pas non plus le fait de ressentir une pression pour effectuer des heures supplémentaires ».
Mais attention : il incombe à l'employeur de prévenir le harcèlement et la violence au travail. « Il existe désormais un lien étroit entre l'obligation de sécurité et de résultat et le harcèlement », insiste Me Pesson, avocate au barreau de Lyon.

Rédiger une charte de référence
L'accord interprofessionnel du 26 mars 2010 est venu préciser les outils qui permettent à l'employeur de prévenir le harcèlement. La priorité ? Rédiger une « charte de référence », qui sera annexée au règlement intérieur. « Ce document doit définir les notions de harcèlement et de violences au travail et proposer un cadre pour leur identification, leur prévention et leur gestion. Il s'agit d'établir les procédures à suivre si un cas de harcèlement survient », détaille Cécile Pesson.
« Le WBI, association américaine spécialisée depuis 10 ans dans la prévention du harcèlement, conseille d'établir une liste des comportements interdits dans l'entreprise. Il est judicieux d'inclure une telle liste dans la charte », estime Sophie Soria-Glo, dirigeante du cabinet Le Nouveau Coaching Ethique.

Former les responsables hiérarchiques
Au titre de la prévention, il faut également prévoir la formation des responsables hiérarchiques aux bons comportements managériaux.

Mettre en place une médiation
Un salarié, une organisation syndicale ou une institution représentative du personnel vous alerte sur un cas de harcèlement ? « L'inertie est totalement à proscrire », prévient Me Pesson, « l'absence de réaction pourrait peser lourd dans la balance en cas d'action prud'homale, et ce, même en présence de faits de harcèlement discutables ». L'employeur doit prouver qu'il a pris toutes les mesures nécessaires. À commencer par le lancement d'une enquête interne et la mise en place d'une procédure de médiation.

Accompagner le salarié
L'employeur veillera également à accompagner le salarié. « La victime doit être aidée et soutenue psychologiquement, et maintenue dans son emploi », insiste Sophie Soria-Glo.
« Souvent, les directions mutent la victime dans un autre service », explique Mélanie Chabanol, « c'est une erreur : toute décision prise par rapport à un salarié qui subit des agissements relevant du harcèlement est nulle ».
« Le gros problème, c'est que les dirigeants ne veulent pas désavouer le management », estime Sophie Soria-Glo. Prudence toutefois, car comme l'indique Cécile Pesson, « l'employeur doit prendre les mesures adaptées contre l'auteur d'agissements de harcèlement ou de violences ».
Avec l'accord interprofessionnel de mars 2010, « la présomption du harcèlement va nécessairement se trouver facilitée pour le salarié si l'employeur n'a pas mis en place ces différents outils », insiste Me Pesson. Sachez qu'en cas de recours au Conseil de prud'hommes, les juges pourront toutefois se montrer plus cléments envers des entreprises de petite et moyenne taille, à condition qu'ils soient convaincus de la bonne foi du chef d'entreprise dans la gestion des faits.
Céline Boff.

Témoignage : « Il s'est véritablement acharné sur moi »

Joëlle, 27 ans, journaliste, a été victime de harcèlement moral pendant un an et demi. Elle témoigne « Ça a commencé en 2008… Dès mon arrivée dans cette rédaction du secteur audiovisuel.
J'étais là en tant qu'apprentie. Je pensais que mon chef allait me transmettre son savoir… Il m'a tout de suite expliqué qu'on lui avait imposé ma présence et qu'il ne voulait pas de moi. J'étais la plus jeune, je débutais, je ne pouvais pas me permettre de lui répondre…
Lui était un homme frustré, placardisé, proche de la retraite. Il s'est véritablement acharné sur moi.
Des exemples ? Lors des réunions, il parlait toujours de moi à la troisième personne, comme si j'étais absente. C'était comme ça qu'il me donnait mes tâches, avec des phrases du type « Et la Joëlle, elle pourrait faire ça... », sans jamais s'adresser directement à moi, ou même me regarder. Parfois, je proposais des sujets. Toujours sans me regarder, mon chef les validait… et les confiait à d'autres journalistes.
Je me souviens de ce jour où il a lu mon CV devant l'équipe. Il s'esclaffait : « Joëlle a un bac +2 ! Mais comment on peut recruter des personnes qui ont seulement un bac + 2 ! ». Les journalistes gardaient le nez dans leurs dossiers. Pas un n'est intervenu.
Ça, c'était la partie la plus cool. Le plus dur, c'est que j'étais toute seule. Je n'avais pas de tuteur. Personne n'était là pour m'apprendre le métier, et c'étaient mes premiers pas dans le journalisme. Il n'y a pas un seul jour où je n'ai pas pleuré dans les toilettes.
Au bout d'un an et demi, à bout de nerfs, j'ai dit à mon chef : « Ça ne va plus se passer comme ça, je ne suis pas ton esclave ! ». Ça a dégénéré. Je suis partie de son bureau et je suis montée à l'étage de la direction, en larmes.
Un autre chef m'a alors écoutée. Et a pris les choses très au sérieux. Il faut dire que les suicides chez France Télécom faisaient la Une de l'actualité et que notre CHSCT (Comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail) s'inquiétait de cas de souffrance au travail dans différents services de la chaîne.
En moins d'une semaine, on m'a changé de service. J'ai enfin pu respirer, et découvrir le métier. J'aurais dû en parler plus tôt, mais j'avais peur. Que ça me retombe dessus, qu'on me catalogue comme une « emmerdeuse ». Et puis, je n'avais plus confiance en moi, je ne me sentais plus capable de rien. Un journaliste m'avait dit : « Mets-toi au Prozac, ici, tout le monde en prend ».
Dans ce milieu du journalisme réputé difficile, ça paraissait presque normal d'en baver… Je ne savais plus où j'en étais. J'étais mal, mais c'est bien plus tard, des mois après cette expérience, que j'ai compris que j'avais été victime de harcèlement. »
Recueilli par C.B.

Quand le pénal s'en mêle
La juridiction prud'homale n'est pas la seule à même de statuer sur le harcèlement moral au travail. Une plainte peut également être déposée. Selon l'article L1155-2, qui est la disposition pénale du Code du travail, « les faits de harcèlement moral et sexuel sont punis d'un emprisonnement d'un an et d'une amende de 15 000 euros ».
Cependant, la voie pénale est rarement utilisée. Notamment parce que si, au civil, la charge de la preuve est mixte, ce n'est pas le cas au pénal : il appartient au parquet ou à la partie poursuivante de prouver la culpabilité. « Et la preuve est, dans ces affaires, vraiment délicate à rapporter…
Comme le doute profite toujours à la personne mise en cause, les victoires sont extrêmement rares », détaille Me Mélanie Chabanol. Par ailleurs, un succès aux prud'hommes n'implique pas forcément une victoire au pénal. « Je me souviens du cas d'une salariée du secteur bancaire qui avait obtenu gain de cause devant la juridiction prud'homale, mais dont la plainte a été classée sans suite », révèle Me Chabanol, qui ajoute : « Il faut de plus être très prudent : lorsque l'on dépose plainte, il y a toujours le risque d'être accusé par la suite de dénonciation calomnieuse… ».
Parfois, cependant, ça marche. En 2009, le tribunal correctionnel de Lyon a créé l'événement en condamnant la société de messagerie DHL et l'un de ses cadres à respectivement 15 000 et 3 000 euros d'amende. Trois salariées du site DHL de Vénissieux avaient porté plainte contre le cadre, qui les pressurisait, les injuriait et avait pris l'habitude d'appeler les femmes de son service « des femelles ». C.B.


3 questions à… Sophie Soria-Glo, dirigeante du cabinet Le Nouveau Coaching Ethique et présidente de l'association ISTHME-Recherches

Comment les entreprises gèrent-elles le harcèlement au travail ?
Le plus souvent très mal, ou pas du tout. Et pourtant, les mesures de prévention contre le harcèlement et la violence au travail, issues de l'accord interprofessionnel du 26 mars dernier, ont été rendues obligatoires le 31 juillet par un arrêté du ministère du travail… Mais cet arrêté est passé complètement inaperçu. Si les entreprises ne respectent pas ces recommandations et qu'elles se retrouvent confrontées à un cas de harcèlement, elles auront bien du mal à organiser leur défense…

Que pouvez-vous nous dire sur les harceleurs ?
Il existe différents profils, du pervers narcissique à l'ambitieux prêt à tout. Dans 5 % des cas, c'est le supérieur qui est agressé par un subordonné. On appelle ce phénomène du « harcèlement vertical ascendant », je le nomme pour ma part le syndrome « Iznogoud », l'employé qui veut devenir calife à la place du calife. Parfois, c'est la culture même de l'entreprise qui favorise le harcèlement moral. France Télécom est l'exemple le plus significatif de ce « management immoral ».
Dans tous les cas, le harcèlement moral coûte très cher à l'entreprise, puisqu'il est source d'absentéisme, de turnover (rotation de l'emploi, ndlr), de démotivation, d'accidents du travail, de procédures judiciaires…
Aux États-Unis, une étude réalisée en 2007 par le Workplace Bullying Institute révèle que le harcèlement moral coûte, chaque année, 24 millions de dollars à chacune des entreprises du Fortune 500…

Quelles solutions proposez-vous ?
Les entreprises doivent désormais rédiger une charte de référence, dans laquelle est détaillée la procédure à suivre en cas de harcèlement. À travers Isthme-Recherches, nous aimerions travailler avec des DRH à la rédaction de cette charte. Nous sommes prêts à le faire bénévolement pour ensuite délivrer gratuitement ce document à toutes les entreprises qui nous en feraient la demande. C'est un appel que nous lançons.
Recueilli par C.B.

Les clefs pour comprendre
1 - Qu'est-ce que le harcèlement ? Il existe trois définitions.
Celle du Code du travail, article L1152-1 (2002) : « Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. »
Celle du Conseil économique et social (2001) : « Constitue un harcèlement moral tous agissements répétés visant à dégrader les conditions humaines, relationnelles, matérielles de travail d'une ou plusieurs victimes, de nature à porter atteinte à leurs droits et leur dignité, pouvant altérer gravement leur état de santé et pouvant compromettre leur avenir professionnel. »
Celle de l'Accord national interprofessionnel (2010) : « Le harcèlement survient lorsqu'un ou plusieurs salariés font l'objet d'abus, de menaces et/ou d'humiliations répétés et délibérés dans des circonstances liées au travail, soit sur les lieux de travail, soit dans des situations liées au travail. »
2 - Quelle est la situation ?
En France, un salarié sur six estime être l'objet de comportements hostiles dans le cadre de son travail. C'est ce que révèle l'enquête Sumer, réalisée en 2003 par la Dares et la DGT (Inspection médicale du travail). Cette enquête démontre que les femmes et les salariés les moins qualifiés sont plus exposés que les autres. A contrario, les salariés des TPE de moins de 10 salariés évoquent plus rarement ce type d'agissements. Selon une étude menée par l'INRS en 2006, 65 % des cas de harcèlement moral se terminent par une perte d'emploi pour le salarié harcelé. En 2004, soit deux ans après la loi sur le harcèlement de 2002, 12 % des entreprises françaises avaient instauré des formations, 11 % avaient élaboré une charte d'entreprise, 5 % avaient mis en place des procédures d'alerte (source : ANDRH). Cependant, seules 25 % des entreprises considéraient que la loi avait eu un impact sur les pratiques. 5 % des Européens estiment avoir été victimes de harcèlement moral au travail (enquête 2005).

Félicitations et remerciements à la journaliste Céline Boff qui a fait une excellente synthèse sur le sujet.

« Cela coûte cher à l'entreprise »

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